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Lettre d’informations

janvier 2023
Nouvelle année, même newsletter quasi mensuelle ! Nous revoici avec un pas de côté par rapport à nos nouvelles habituelles.

Rencontre avec Cyman

On vous en parlait brièvement dans notre dernière newsletter, nous avons participé aux rencontres d'éducation populaire organisées par Diffraction, du 3 au 6 novembre 2022, avec une quarantaine d'autres facilitateur⋅ices. Nous y avons rencontré Cyman, qui s'interroge comme nous sur les enjeux politiques du numérique.

Elle organise notamment des ateliers de reprise en main des outils numériques, dans une logique d'émancipation. Nous lui avons posé quelques questions à ce sujet.
La Dérivation : On s'est rencontré⋅es à un rassemblement qui avait le soin comme thématique. Pourtant, ce qui nous a réuni⋅es, ce sont les questions numériques. Comment tu associes les deux ?
Cyman : Je me suis beaucoup questionnée sur le rapport à l’autorité pendant le premier confinement en 2020, notamment avec les remous autour de l’obligation du port du masque. J'ai fait un sondage autour de moi : pourquoi vous le portez ? Pourquoi vous ne le portez pas ? On m'a beaucoup répondu des variantes de « l'autorité a dit que », mais sans qu'un intérêt soit perçu ou que ça ait du sens pour elleux.

En parallèle, quelques personnes de mon entourage, qui n'en avait jamais rien eu à faire des enjeux numériques, m'ont contactée pour voir à changer de boite mail, ou pour se questionner sur l'omniprésence de la visio et son impact sur notre sécurité ou notre bien-être.

Dans les deux cas, l'absence de réflexion sur le port du masque ou sur les outils numériques, j'ai vu ça comme un abandon de son pouvoir et de sa souveraineté, ce que j'ai associé aux travaux d'Alice Miller sur les conséquences de la pédagogie noire [Note de La Dérivation : pour résumer, tout ce qui découle du principe « qui aime bien châtie bien », voir l'article Pédagogie noire sur Wikipédia] sur la construction des individu·es.

Je me suis demandée ce que je pouvais proposer qui réponde à la fois à la demande pratico-pratique qu'on m'avait faite de comment se servir des outils numériques, et à ce que j'avais vraiment envie de travailler c'est-à-dire la souveraineté, le pouvoir, la responsabilité, le consentement à travers ces outils. J'ai donc proposé des ateliers de reprise en main du numérique qui prenaient en compte ces aspects. Dans mon idée, si on arrive à faire ce cheminement intérieur d'émancipation, peu importe le résultat en termes d'usages numériques. Et ce processus a de l'intérêt quelle que soit la dimension du « faire société » considérée.
Comment mets-tu en œuvre ces ateliers ?
Il y a un « jeu d'enjeux ». Ces remises en cause dont je parle sont à faire dans le format même de l’atelier. Je ne fais donc pas de préparation : ni slides, ni plans, ni fiches de synthèse. On ne fait qu'avec le vécu des personnes sur une thématique donnée, qui est décidée par le groupe. Je laisse une totale responsabilité sur la capture des connaissances en ne mettant à disposition qu'un pad qui se veut la mémoire collective.

Le parti pris est de ne pas faire à la place des autres. Casser la posture de sachant·e, ne pas recréer une dynamique de toi-disciple et moi-maître, ça a bien fonctionné. On partage des infos dans une discussion, après les participant⋅es sont en autonomie pour faire les choses. La première année, il y a eu des ateliers toutes les six semaines environ. J'ai constaté beaucoup d’intérêt et d'enthousiasme lors des moments de découverte mais des difficultés à passer à la suite. La deuxième année n'a pas amené de nouvelle thématique mais le groupe a souhaité passer à l’action avec du soutien à partir des connaissances et prises de conscience de l’année précédente.

Sur l'organisation même des ateliers, j'ai voulu là aussi partager plus le « pouvoir » et inviter le groupe à s’auto-porter. On est arrivée à l’idée que c’est à un groupe de personnes motivées par un sujet d’organiser la rencontre. Ensuite, je me rendais disponible, avec tous mes moyens.

Ça a changé la donne dans la dynamique du groupe, des gens se sont mis en retrait au fur et à mesure que j’ai laissé du pouvoir. J'ai cherché à comprendre si c'était un problème de manque de temps ou si c’est la difficulté d'avoir un rôle d’organisation, mais les personnes concernées ne répondent plus, malheureusement. Ça me laisse un sentiment d'échec.

Pour autant, il y a eu aussi de belles surprises dans l’enthousiasme des participant·es. L’une d’elle m'a appelée un jour pour me dire qu'elle est en train d'installer Linux sur tous ses ordis. Certaines ont décidé de tout arrêter : fermeture de tous leurs comptes sur les réseaux sociaux, utilisation minimale de leur smartphone… D'autres m'ont sollicitée pour penser les premières étapes de leur « trajectoire de sortie », et elles s'y sont collées. Progressivement, à leur rythme, mais elles y vont. Maintenant, elles se questionnent systématiquement quand elles découvrent un nouvel outil, un nouveau site web. Elles se demandent qui est derrière, elles vont lire les CGU…
Comment as-tu communiqué sur la mise en place des ateliers ?
Je l’ai joué petit. C’est la première fois que je décidais de « m'exposer. » Si je parlais de ces sujets intimes avec mon entourage, je ne m’étais jamais autorisée avant à me dire que j'ai des compétences et des connaissances et que je pourrais les partager à un plus large public.

J'aimerais développer des choses plutôt localement maintenant. La dynamique de résilience et d'autogestion à laquelle la bascule de nos usages numériques peut contribuer, elle est localisée géographiquement.

Depuis quelque temps, j’ai dans l’idée de relancer une vague en repartant de zéro avec un nouveau groupe.
Et côté sous, ça se passe comment ?
Quasiment dès le début, on m'a demandé ce que je voulais en échange. Je n'avais pas besoin d'argent, mais comme je m'intéresse aux alternatives aux monnaies-dette, j'ai répondu qu'on pouvait me payer en monnaie libre [Note de la Dérivation : pour découvrir ce sujet, Cyman recommande la vidéo La monnaie libre sans jargon]. À un moment, je me suis rendu compte que c'était beaucoup de plaisir d'animer ces ateliers mais qu’en même temps, ça reste du travail. Même si je ne prépare « rien », il y a tout le travail que j'ai fait avant, toutes les connaissances que j'ai glanées, mes propres tests, etc qui permet d’être pertinente pour faciliter et répondre aux questions. Ce n'est donc pas juste de ne rien recevoir en retour. Ça a aussi été l'occasion pour moi d'explorer mon rapport à l'argent et mon rapport au travail.

Depuis, les choses ont évolué. J'ai eu envie de monter un petit serveur en auto-hébergement pour poursuivre mon exploration des alternatives aux GAFAM, alors j'ai ouvert une cagnotte pour soutenir l'achat du matériel. Cette année j'ai eu beaucoup de demandes d'accompagnement, je n’avais pas imaginé proposer quelque chose à ce niveau-là. Alors j'ai mis en place des paliers de service et de rétribution. Plus c'est coûteux pour moi, plus je vais chercher une contrepartie. Ce qui est joyeux et nourrissant pour moi en revanche, j’ai moins besoin d’une contrepartie parce que je l'aurais fait de toute façon. C'est ce que je je choisis d'expérimenter en tout cas. Ce n’est pas totalement satisfaisant, mais ça me permet de matérialiser que ce que je fais a de la valeur pour les personnes que j’accompagne, sans pour autant ponctionner trop les gens ni être dans une démarche de « rentabilité » à tout prix.
Pendant la rencontre, on a parlé des étudiant⋅es qui « bifurquent ». Tu as mentionné être passée par une école d'ingénieur⋅es, tu as arrêté aussi ?
Ah non ! Je suis allée au bout de mes études et j'ai même bossé en tant qu'ingé pendant pas loin d’une quinzaine d'années. J'avais de gros doutes pendant mes études mais j'étais trop formatée pour sortir du rail à ce moment là, donc j'ai suivi le chemin. Par contre, dans mes expériences professionnelles, dès le début il y avait des choses dans lesquelles je me sentais pas bien. Mais je n’étais pas équipée pour formuler mon mal-être professionnel. Il a fallu que je fasse un burn-out en 2015 pour me rendre compte du souci. Je me suis retrouvée à me demander « Comment c'est possible que quelqu'un comme moi, intelligente, brillante, ne voit pas venir que mon système est en train de me lâcher complètement ? » Ça a initié une grosse introspection pendant que j'étais en arrêt et qui se poursuit aujourd’hui. Je me suis rendu compte que je n'aimais pas ma vie, que je menais une vie qui n'était pas la mienne. J'ai quitté mon boulot, lâché mon appart, arrêté de travailler, mis mon énergie dans la CNV, exploré ce qui touchait aux modes de gouvernance alternatifs… ; je me formais pour prendre soin de moi et pas pour en faire un métier.

En parallèle, je bossais sur l'émancipation dans mes usages numériques et c'est de continuer à travailler sur ces enjeux de communication et de gouvernance qui m'a donné envie de mettre à disposition ces connaissances dans ces ateliers et sous ces formes.
Si on veut te contacter, trouver ton prochain groupe d’atelier, on fait comment ?
Je ne suis pas sur les réseaux sociaux. La meilleure chose actuellement c'est qu’on m'envoie un mail : contact-wlomp@riseup.net.

Mélissa à ritimo

Encore du mouvement professionnel dans notre duo : j'ai (Mélissa) rejoint l'association ritimo à temps partiel en tant que chargée d'animation numérique. Le chiffre d'affaires de La Dérivation ne permet pas de rémunérer un temps plein, et le chômage touchant à sa fin, il a fallu trouver un emploi plus stable. Ritimo est un cadeau tombé du ciel dans sa compatibilité dans le fond comme dans la forme avec La Dérivation, ce qui me permet d'avoir le meilleur des deux mondes : une quasi-indépendance d'un côté, une structure plus solide de l'autre, le tout avec toujours le bouillonnement sur les enjeux politiques du numérique que je ne voulais pas abandonner.
La Dérivation existe toujours, faites-nous signe pour vos demandes d'ateliers et d'accompagnement !
Nous vous souhaitons une année pleine de joie, de lutte et de paillettes ✨
Mélissa et Lunar
La Dérivation
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